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9 août 2013 5 09 /08 /août /2013 23:02

    Elle, c’est une acrobate talentueuse. Elle voltige sous un chapiteau géant, à la lumière puissante des projecteurs blancs. Elle ravit les yeux des spectateurs en tournoyant dans les airs, à vingt mètres au-dessus de leurs têtes.

La foule l’acclame sans relâche. Elle est si jeune, comment peut-elle être à l’aise là-haut ? À chaque instant, on serre les dents, effrayé à l’idée de la voir tomber. Le public est suspendu à chacun de ses gestes, alors qu’elle se suspend à son trapèze.

    Les applaudissements font exploser le chapiteau. Elle sourit et agite la main à la façon des enfants. Elle a vingt ans, paraît-il. Elle ne les fait pas, son sourire est si pur !

 

  Lui, c’est le clown du cirque. Pas le clown blanc, un brin trop sérieux pour être crédible, non. Le vrai clown clownesque, le comique de la bande à qui on a naturellement donné le rôle qu’il tenait depuis toujours. Il soutire l’enthousiasme du public le plus sombre, quelle que soit la moyenne d’âge. Comble de sublime, il parvient à faire rire les saltimbanques eux-mêmes, qui pourraient penser connaître tous ses tours.

   Le soir, après le spectacle, on s’assied autour d’un feu de camp, chacun se remettant de ses efforts. Lui, il détend l’atmosphère. Quand il parle, c’est comme si la pression redescendait tout à coup. On l’écoute. On le regarde. On rit. La joie revient au camp, les conversations reprennent, légères…

    Tout le monde l’aime.

 

   Quand elle voltige, il ne la quitte pas des yeux. Sous son nez rouge, sa perruque rousse et son maquillage qui lui donnent des airs ballots, il cache un esprit subtil, une âme de poète. Surtout lorsqu’il la voit.

   Ils se connaissent depuis toujours, ils ont grandit ensemble. Depuis quelques années, déjà, ce ne sont plus des enfants. Les choses du cœur se sont emparées de leur insouciance, et voilà qu’ils s’aiment. Profondément.

On les mariera, allez ! Cela fera vivre le cirque. Ils sont beaux, tous les deux…, ils auront de beaux enfants. Quelle joie !

 

    Elle se balance sur son trapèze. D’avant en arrière, ses jambes fines et musclées repliées sur le morceau de bois. La tête en bas. Les bras gracieusement tendus vers le sol.

  Dans un instant, elle va s’élancer dans les airs, et son père la rattrapera de ses mains puissantes. Les saltimbanques se rient de l’anxiété du public : ils ont vu tant de fois ce numéro, et c’est toujours la même inquiétude, le même saisissement qui s’empare de la foule.

 

  On tape sur l’épaule du clown. Il quitte la vedette des yeux et se tourne vers celui qui l’appelle. Presque immédiatement, un frisson d’horreur parcourt l’assemblée qui se lève en criant son angoisse.

Il ne se retourne pas tout de suite. Instinctivement, il retient son souffle et son ventre se noue, jusqu’à gagner sa gorge. Il sait déjà ce qui s’est passé.

 

    Elle est tombée.

 

    Il l’a quittée des yeux, et elle est tombée.

 

    Le monde tourne au ralenti.

    Les battements du cœur du clown s’amplifient et accélèrent, comme pour remonter le temps.

    Dieu, qu’il fait chaud !

    Il n’entend plus la foule.

 

    Il se retourne.

    Elle est là, gisant dans le sable, au centre de la scène. Elle. L’élue de son cœur. Il ne voit pas le père pétrifié sur la plateforme, là-haut. Il ne voit qu’elle. Tout le reste s’efface.

     Il court vers elle. Se jette à genoux à son côté.

 

     Elle est morte.

 

     Le cirque disparaît aux yeux du clown.

     Les jours passent, longs, insipides.

    Allons, il faut réapprendre à vivre ! Les veillées se font pesantes : le clown reste silencieux, lui qui distrayait tout le monde. Parfois même, au milieu d’une conversation, il se lève et va s’asseoir sur les marches d’une roulotte, seul dans la nuit.

    Il ne joue plus pour les foules. Personne ne cherche à le traîner sur la scène, la partie serait perdue d’avance.

   De son beau sourire, personne n’a plus souvenir. Parfois, quelqu’un essaye de le raisonner, car il faut vivre ! Il semble écouter, mais n’entend pas. Son regard se vide, ses mains tremblent. Le nez rouge a roulé dans une flaque de boue, fatigué de suivre son maître qui le délaisse, et tout le monde l’a oublié. Le jeune homme vit dans une bulle. Personne ne peut plus l’atteindre. Il ne sent même pas lorsqu’on le touche.

 

    La foule s’étonne de voir un cirque sans clown. Personne n’a le cœur de le remplacer. Parfois, un enfant réclame des grimaces, des blagues. Les saltimbanques baissent la tête. Le clown ne réagit même pas, prostré.

Il ne fait plus rire personne. On pleurerait, plutôt, en le voyant.

 

    Et puis, la vie reprend le dessus. Le groupe, de ville en ville, présente ses spectacles. Les acrobates reprennent leur assurance. Chacun fait son deuil. Les veillées sont plus détendues, quelques rires résonnent entre les roulottes, quelques chants.

  L’un des jeunes raconte un conte, l’autre lance une plaisanterie. On oubliera le clown triste. Il n’est plus saltimbanque, il n’est qu’un boulet que l’on traîne, d’étape en étape. Quelqu’un le remplacera. Le cirque pourra à nouveau amuser les foules par un nez rouge et des chaussures immenses.

Tout s’oublie.

 

 

    Un soir, alors que les roulottes s’aligneront sur la route, il remontera le convoi dans le sens inverse, et il partira. Loin de son nez rouge. Pour la rejoindre.

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1 août 2013 4 01 /08 /août /2013 09:52

   La jeune fille a vingt ans et des rêves plein la tête. Quand elle était petite, elle voulait être écrivain. De mauvaises notes en punitions, le français l’a abandonnée. Elle n’aurait rien lâché, pourtant, tant pis pour lui.

   Renvoyée de plusieurs écoles, puis de chez elle par des parents honteux, elle a pris son sac et frappé à la porte d’une immense maison au parc entouré de murs de pierres. C’est une moniale qui l’a accueillie, d’un grand sourire qui séchait d’un seul coup toutes les larmes de la fille.

   On lui a donné une chambre à l’écart. Le monastère est planté sur un flanc de montagne auquel accèdent quelques randonneurs et curieux. Il paraît hors du monde. Cela a fait l’affaire de la jeune fille.

  On lui a confié la charge du magasin, dans lequel sont exposés poteries, bijoux, chapelets, santons, statues, images, ainsi que de nombreux fruits du travail patient des petites sœurs.

   Chaque matin, la fille court jusqu’au village le plus proche et ramasse les intentions de prière qu’on lui donne. Tantôt, c’est la mère du boulanger qui menace de passer l’arme à gauche, tantôt c’est une jeune fille qui a le cœur brisé par une infidélité de son fiancé, tantôt une action de grâce pour une fête réussie, tantôt une supplique pour que le monde se porte mieux.

   Elle fourre dans la poche de sa robe les papiers chiffonnés qu’on lui donne, et elle remonte plus lentement, marchant le long de la route qui serpente entre les sapins sombres. Elle arrive là-haut pour la messe, qu’il neige, qu’il vente ou que le soleil écrase la forêt de sa chaleur.

     Les sœurs l’aiment bien.

     Elle ne souhaite pas prendre l’habit. On lui fiche la paix avec ça, et elle ne veut pas d’autre existence.

   Le dimanche, alors que le magasin est fermé, elle prend le sentier étroit qui grimpe encore plus haut dans la montagne. Elle marche d’un pas lent, régulier, elle souffle en montant, et ne s’arrête qu’une fois arrivée sur la crête.

    D’ici, on distingue d’un côté le Mont Blanc et sa chaîne de montagne majestueuse – comme si chacun de ces reliefs était un sujet du fier point culminant ; de l’autre le lac Lément, magnifique étendue bleue au milieu d’un paysage plus urbanisé, entre forêts, cultures, bâtiments et axes routiers.

    Quand le soleil s’en mêle, le tout est presque féérique. Elle a beau venir tous les dimanches, c’est chaque semaine une impression nouvelle. Alors, seule là-haut, elle se met à danser dans ses petites baskets de toile. Ce sont d’abord des pas insignifiants, puis des dégagés, des arabesques, des sauts de chat, des figures douces et gracieuses.

Son deuxième rêve, c’était de devenir danseuse étoile. Quand on l’a chassée de la maison familiale, elle a vu ce projet s’écrouler à son tour. Elle danse sur les crêtes, entre trois pays différents : la Suisse, l’Italie et la France. Ce n’est pas si mal.

 

    Quand on lui demande au village si on a bien prié pour la grand-mère malade, elle répond d’un sourire que, grâce à la prière des petites sœurs, le Ciel se charge de l’affaire.

   C’est une existence simple. Elle a la solitude de l’écrivain, la griserie de la danse aux sommets, le bonheur du sourire offert sans compter. Un jour, elle épousera un vagabond un peu poète, un marchand de chansons ou quelque chose comme ça.

     Elle est heureuse.

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24 juillet 2013 3 24 /07 /juillet /2013 18:08

      C’est l’histoire d’une fillette toute jeune et fraîche, une jolie petite brune espiègle, avec un sourire plus large que le visage. Elle va son chemin, lisant dans chaque regard un peu de poussière à enlever, s’efforçant de donner tout ce qu’elle peut à chacune des personnes qui se présentent sur son passage. Il paraît qu’à tout donner, on reçoit plus encore. Ce n’est pas ce qui la préoccupe.

     Elle voudrait apporter le bonheur partout autour d’elle, panser les plaies béantes des âmes meurtries… Elle ne peut pourtant pas tout faire. Elle court, portant son sourire comme une bannière qui la précède. Elle vole de l’un à l’autre, amenant partout le bonheur avec elle.

      Elle n’a pas une colère, pas un agacement. Pourtant, parfois on lui ferme la porte au nez, elle la reçoit violemment en pleine figure. Elle ne pleure pas, elle n’a pas même une grimace. Elle se relève bravement, solide et joyeuse.

 

     Chaque coup lui laisse pourtant une cicatrice et l’ébranle un peu. Devenue jeune fille, elle porte ces marques comme un lourd fardeau. Elle va les chemins, traînant ce poids dans les ronces des chemins boueux, qui arrachent et tâchent sa robe au passage. Elle sourit, se présente et propose son aide aux passants. Reçoit de rares remerciements, des ingratitudes, d’autres coups.

     Beaucoup de gens s’en sortent bien grâce à elle, mais ne veulent pas croire qu’elle y est pour quelque chose. On évoque le hasard, les amitiés, le temps. La jeune fille repart sans rien objecter. Quand l’hiver vient, elle erre le ventre vide, les dents claquant dans l’air glacé, le sourire toujours aux lèvres.

 

     Sourire lui demande de plus en plus d’effort. Les sourires ont un prix lorsqu’on voudrait pleurer. Ils lui volent ses forces. Le chemin se fait de plus en plus long, de plus en plus difficile. La femme s’enfonce dans la boue, serre les dents pour s’en sortir sans gémir. Déjà, il ne s’agit plus de sourire mais bien de ne pas pleurer.

     Alors qu’elle aurait besoin d’aide, c’est elle qui la propose aux autres. On la reçoit comme un dû. Cette femme est étrange, quelle bêtise de n’avoir pas d’éducation, de se priver ainsi d’un parti convenable ! On ne s’en soucie pas plus que cela. Elle ne demande rien à personne et, somme toute, c’est toujours agréable d’avoir un peu de soutien, même si on ne le montre pas.

     Quand elle croise un voyageur affamé, elle lui cède sa part de pain dur sans lui révéler qu’elle n’a pas mangé depuis plusieurs jours. Elle donne le meilleur aux autres, et garde…, ne garde rien pour elle.

 

     Cette vieille femme est folle. Qui la connaît ? On préfère l’éviter, on lui parle sèchement, elle doit être insensible car cela ne semble pas lui faire de peine. Quand elle demande un gîte sur sa route, on la chasse durement, elle se contente du moelleux de la neige, et ça ne lui fait pas de mal, té, ça lui apprendra qu’il faut travailler.

     Les enfants lui lancent des pierres. Ça ne l’atteint pas. Elle se courbe seulement un peu plus sous le poids de ces attaques. Et quand elle ne peut plus avancer, elle s’arrête. Elle est dans un bois sombre. Elle se laisse tomber à terre. Ici, on ne la trouvera pas. Elle ferme les yeux, recroquevillée sur elle-même. Son beau sourire fond en larmes salées.

     Elle a donné sa vie aux autres, on l’a payée par des injures.

 

     Les flocons tourbillonnent autour d’elle et l’ensevelissent en silence.

     Un silence oppressant.

     Un silence de mort.

 

 

     Les bras blancs de la neige l’enserrent sans rencontrer aucune résistance.

     Elle n’est plus de ce monde.

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10 janvier 2013 4 10 /01 /janvier /2013 23:37

Le week-end fut éprouvant. Le directeur réussit sans trop de peine à lever les sanctions du CPE, pourtant Romain se présenta à l’étude chaque fois qu’il en avait l’occasion, pour se débattre comme il le pouvait contre ses mathématiques.

Le soir, il rejoignait Josselin dans la chambre et le priait de lui expliquer ce qu’il ne comprenait pas. Patient, son ami reprenait point par point les cours dispensés par un professeur moins scrupuleux que lui. Dut-il y passer la soirée, il fallait que Romain comprenne.

 

Le lundi matin, les effectifs se gonflèrent, on reprit place dans les salles de classe. Romain lutta contre toutes les tentations du monde pour se concentrer sur son travail.

Ses amis, Josselin mis à part, s’étonnèrent de son sérieux. Quelques uns le charrièrent gaiement. Romain y répondit avec un esprit adroit qui fit taire les plaisantins.

 

Les cinq redoublants de terminale scientifique s’étaient vite rapprochés en début d’année pour finalement devenir inséparables. Ils partageaient leur chambre, participaient aux mêmes activités sportives, aimaient à s’amuser. Quand l’un allait mal, l’autre le réconfortait ; si l’un se prenait trop au sérieux, l’autre le plaisantait pour le ramener sur terre.  

 

La journée s’écoula rapidement ; les garçons étaient heureux, à défaut de travailler, de se retrouver.

Quand la sonnerie retentit en fin de journée, les trois tables du fond furent les premières à sortir : le lundi soir, pour consoler ses amis de la reprise des cours, Romain faisait la lecture de ses écrits. On se précipita vers la chambre, alors que les surveillants rassemblaient écoliers et collégiens pensionnaires pour les activités du soir.

Quatre garçons s’avachirent sur leurs lits pendant que le dernier fermait la porte. Romain, un sourire moqueur aux lèvres, regarda ses amis, puis fouilla dans son tiroir pour en sortir quelques feuillets.

- Vous êtes chou.

- Allez, Père Castor, raconte-nous ton histoire, sois pas vache ! taquina l’un.

- Ce serait le comble, pour un castor.

- Vous êtes affligeants, soupira un autre.

- C’était quoi, déjà, le dernier chapitre ? Je ne m’en souviens pas.

- Mais si ! La description du gars : douze ans, un peu obscur, les yeux très sombres, quasi muet, aimable comme un fond de casserole…, ancré dans sa mélancolie, quoi ! Il faut le comprendre : tout le monde lui marche dessus avec des godasses ferrées, ce n’est pas agréable.

- Comment s’appelle-t-il, déjà ?

- Il n’a pas de nom. Il a un pseudo qu’il s’est donné : Abraham.

- Ah oui ! à cause qu’un vieillard à moitié vivant lui a adressé la parole, alors que personne ne lui avait jamais parlé depuis ses cinq ans et que…

- Philippe, c’est toi qui raconte, ou c’est Romain ?

- Ça va, c’était pour répondre aux questions de Christian, c’est tout.

- Allez, fermez tous vos grandes bouches, railla gentiment Josselin. Vas-y, Romain.

- « La nuit se retirait peu à peu de la terre trempée, laissant planer dans l’air un parfum aigre-doux. La bruine de l’automne transperçait la vieille couverture déchirée dont s’enveloppait le gamin. Ses genoux grêles s’entrechoquaient à chaque pas, il marchait le dos courbé, la bouche rentrée sous la couverture pour y souffler un peu de chaleur. »

 

Josselin s’allongea sur sa couche et ferma les yeux pour mieux écouter. Il sentait le froid engourdissant, le frisson de la forêt dans l’aube glacée. Toute la misère du monde semblait peser sur les épaules du personnage qui marchait vers la lumière.

 

Le silence des quatre garçons, pourtant toujours distraits en cours, était sans doute la plus belle récompense qu’aurait pu espérer Romain.

Tandis que ce jeune miséreux, à qui il avait donné naissance et souffrance, évoluait dans une vaste plaine déserte traversée par des vents glaciaux, Romain sentait une pointe de fierté l’envahir en une douce chaleur. C’était rassurant d’être enfin écouté, de susciter l’intérêt après n’avoir récolté que l’indifférence la plus totale auprès de ses parents.

 

Les grands yeux verts de Philippe le dévisageaient avec un émerveillement naïf mêlé d’admiration. On devinait que la fierté le gagnait, lui aussi, et qu’il se sentait important, avec un ami si adroit à ses côtés. L’habileté de Romain à manier les mots suffisait certainement à effacer toutes les maladresses et pauvretés de langage du plus jeune de ses compagnons.

Si celui-ci rêvait d’une chose, c’était bien de ressembler à ce poète qu’il mettait sur un piédestal. Philippe, en effet, aurait pu se vanter d’avoir sauté une classe s’il n’avait redoublé la suivante à cause de ses lacunes évidentes en français. Son langage imagé aurait pourtant séduit s’il s’était accompagné de quelques bases solides en grammaire.

 

Assis contre le mur au fond de son lit, Barthélémy Laparuche, écoutait distraitement le romancier, plus par amitié que par réel intérêt. Parce que Romain était plutôt discret et que c’était sa façon de crier que de se dévoiler dans son écriture ; parce qu’il était toujours à l’écoute des autres et ne s’imposait qu’une fois par semaine, en faisant la lecture pour ses amis ; parce qu’enfin c’était bien le seul, ici, à aller au bout de ses idées au point de les coucher par écrit.

Barthélémy, d’un tempérament plutôt froid et méfiant, aimait que les gens s’engagent, affirment leurs convictions. Mieux valait pour eux qu’ils aient les mêmes idées que lui, mais il préférait encore avoir un adversaire que de croiser un « mouton débile », selon son expression. La bêtise et l’injustice le révoltaient au plus haut point, presque autant que la lâcheté.

Bagarreur, insolent : si Barthélémy l’était parfois, ce n’était pas par méchanceté mais bien pour provoquer les réactions, savoir jusqu’à quel point son adversaire était capable de défendre ses idées. S’exposer soi-même pour ses croyances, voilà qui était courageux. Si la politique avait eu quelque chose d’héroïque, certainement, Barthélémy s’y serait engagé sans hésiter.

 

Sur la couche superposée à celle de ce philosophe, Christian Arboussière trouvait tour à tour le récit naïf ou mature, bien écrit ou maladroit, beau ou lassant. Peut-être l’écriture de Romain était-elle encore instable, peut-être aussi était-ce un tour du caractère capricieux de Christian.

Romain était un idéaliste au grand cœur, et cela énervait souvent l’enfant gâté qu’était Christian, rebellé contre la bourgeoisie et contre l’admiration pesante que lui vouaient ses parents. Depuis quelques années, il s’exerçait à les décevoir méthodiquement, de la même façon que Romain cherchait à plaire aux siens.

Ainsi, il avait fait les pires choses à leurs yeux : trompé leur confiance en fumant loin de leurs yeux, rejeté leur religion, déshonoré leur nom en courant les filles et en se faisant maître en débauche. D’où sa présence à la pension de Saint-Loup, après les nombreuses inquiétudes de ses professeurs, à défaut de la poigne ferme de parents aveugles.

La beauté, l’innocence, la pureté le répugnaient trop souvent. Cependant, il était fidèle et mettait tout son honneur de ce côté-là.

 

La voix de Romain dessinait un monde dur, un personnage sans cesse rejeté, qui en devenait sauvage et agressif. La société modelant un loup.

- Ben dis, siffla Josselin quand le lecteur s’arrêta. Tu étais déprimé pour écrire des choses pareilles ?

- C’est déprimant ?

- Un peu, oui ! Je te connais plus optimiste que ça.

- Ne t’inquiète pas, ça finira bien. Si tout est beau dès le début, l’histoire ne peut que finir mal ou être ennuyeuse. Alors, mieux vaut partir de la souffrance pour arriver au bonheur, non ?

- Tu ne peux pas faire une histoire joyeuse tout le long ? s’étonna Philippe.

Romain sourit à son ami et haussa les épaules.

- J’essaierai quand je serai meilleur et plus inspiré.

- Quand tu seras amoureux, dit Josselin, ça viendra : tu ne penseras qu’au bonheur.

- Le bonheur paraît souvent ennuyeux.

- Sans doute parce qu’il l’est ! grinça Christian.

- J’aimerais bien voir ça ! s’exclama Barthélémy. Le bonheur, ennuyeux ? Blagueur, va.

- Les gars, vous avez vu ? on a une voisine en face !

 

L’internat était un grand bâtiment de pierre, partie d’une vieille maison française partagée en deux. D’un côté, l’école de garçons, de l’autre les filles : Sainte-Agathe.

Il était presque impossible aux uns de voir les autres, en-dehors des week-ends et des rares activités mixtes, strictement encadrés.

Par quel mystère avait-on placé une jeune fille face à la chambre de cinq pensionnaires ?

Philippe, collé à la fenêtre, faisait signe aux autres de le rejoindre. Ils s’amassèrent derrière lui.

- On dirait qu’elle dessine… Barthé, tu as des jumelles, non ?

- Ça ne va pas ? On n’est pas des voyeurs, non plus !

- Rho, tout de suite les grands mots ! On regarde juste quel âge elle a, c’est tout !

- Et si elle est jolie…, mais ça se voit d’ici : c’est une bombe. Elle a de ces cheveux noirs, brillants et tout…

Christian écarta Philippe, agacé par son discours intéressé.

- Elle doit avoir seize ans.

- Je dirais moins.

- Faites vos jeux !

- Et comment pourra-t-on vérifier ?

- On lui demandera.

- Il y a au moins sept mètres d’ici à chez elle, comment comptes-tu t’y prendre ?

- On se débrouillera. On arrive bien à sortir de l’internat pour aller en ville, alors pourquoi on n’arriverait pas à faire sept mètres ?

Les garçons s’assirent sur un lit pour faire leurs paris. Seul Romain restait debout, à côté de la fenêtre, pensif.

- Ça y est, le v’là amoureux, il va enfin pouvoir nous pondre des histoires heureuses.

- Fous-lui la paix, c’est un poète.

- Romain, tu penses qu’elle a quel âge ?

- Quatorze.

- Tu me fais flipper, à être immobile, comme ça ! Viens avec nous !

- Elle m’inspire, objecta Romain. Si Abraham rencontrait une jeune fille toute simple, gentille et tout, peut-être qu’elle pourrait l’apprivoiser.

- Qui te dit qu’elle est gentille ? Si ça se trouve, c’est la pire fille au monde.

- Mais non ! Toutes les filles de Sainte-Agathe sont de gentilles petites chrétiennes comme il faut.

- Et j’imagine qu’elles disent la même chose de nous.

Romain réfléchit, puis rit.

- Alors effectivement, mon raisonnement n’est pas bon.

Il s’assit devant le bureau et attrapa une feuille blanche pour aligner quelques mots. Josselin le regardait avec amusement, Romain le chassa d’une main ferme.

- Je déteste qu’on lise dans mon dos ! déclara-t-il.

- On aura fini par le savoir, répondit l’autre en ouvrant la porte. Bon. Je vais dehors, un peu. Qui vient avec moi ?

- J’arrive, assura Romain, quand j’aurai fini ça.

- Les autres, venez vous mesurer à moi au volley !

- Le volley, c’est pour les minables.

- Tu vas voir, si je suis un minable !

Josselin et Christian se mirent en position pour batailler, les autres pouffèrent.

- Je fais l’arbitre ! lança Philippe.

- Bien sûr, j’allais te le proposer, ironisa Josselin. C’est injuste, on sait tous que tu es du côté de Christian.

- Il faudrait beau voir !

- Apprends à parler, déjà, rit Barthélémy.

- Ce n’est pas comme ça qu’on dit ?

Alerté par le bruit, un surveillant entra par la porte entrouverte.

- Que se passe-t-il ici ? Dehors, le chahut !

- Hervé ! Devine quoi ?

- Euh… Une soucoupe volante s’est posée dans le parc ?

- Mieux ! Une fille s’est installée dans la chambre en face.

Le surveillant sourit, amusé.

- Dites donc, méfiez-vous ! En parler à un vieux garçon comme moi, vous n’êtes pas fous, vous ! Je pourrais être jaloux et vous changer de chambre.

- Sans blague, tu n’es pas marié ?

- Je n’ai pas ce bonheur, non.

- Les filles ne savent pas ce qu’elles perdent ! Ça viendra, beau gosse comme t’es !

- « Vieux garçon », Hervé ! s’exclama Philippe. On aurait tout vu, tiens ! Garçon peut-être, mais vieux…

- J’ai trente-huit ans, gamin.

- L’âge, c’est tout dans la tête.

- Un peu dans les jambes aussi. Bon, descendez ou je vais devoir me fâcher. Vos voisins apprécieraient un peu de calme.

- On descend, mais seulement parce qu’on le veut bien ! plaisanta Josselin. Romainchou, tu nous rejoins ?

- Promis.

 

Hervé laissa passer les quatre garçons, puis se tourna vers Romain qui restait devant son bureau.

- Tu restes, toi ?

- Un peu…

L’interne baissa le menton, pensif, puis se retourna vers le surveillant.

- Pourquoi tu n’es pas marié ?

- Je me suis aperçu il y a peu que la femme parfaite n’existait pas.

- Une femme n’a pas besoin d’être parfaite pour aimer.

- C’est un peu tard maintenant, tu sais.

- Trop tard pour quoi ? Trente-huit ans, ce n’est pas si vieux.

- Qui voudrait de moi ? Tu te fais des illusions, Romain.

- Je ne saurais pas dire si tu serais un bon mari, mais je t’assure que tu ferais un père excellent.

- Je te remercie.

- Et tu sais pourquoi ? Parce que tu sais aimer. Mes parents à moi, ils ne m’aiment pas, ou pas assez. Toi, tu sais faire, tu as cette fibre-là. Tu es encore capable d’aimer une femme, c’est certain.

- C’est un peu plus compliqué que ça.

- On dirait que tu as peur de… de te démarquer. Tu es catégorisé « vieux garçon », alors tu ne sors pas de cette case. Tu as envie de te marier ?

- Un peu, que j’en ai envie, oui ! railla Hervé, surpris par le ton grave du garçon.

- Ce serait cool, parce que c’est un truc super, et que comme tu es un type super aussi, ça collerait bien…

- Tu lis trop de bouquins, Romain. Je me marierai le jour où une femme voudra bien de moi.

- Le problème, c’est qu’il faut qu’elle te plaise aussi, et ça…

Hervé haussa les épaules. Un peu agacé, il se retira pour surveiller les autres chambres.

 

*

 

La veille des vacances de Noël, comme chaque année, Monsieur Janvier, en accord avec la directrice de Sainte-Agathe et avec l’aumônier des deux écoles, avait organisé une messe et une veillée pour les familles des élèves.

À titre exceptionnel, donc, les écoles mirent en commun leurs activités. On prépara la fête avec ardeur, tout l’après-midi, chacun participant comme il le pouvait. Théâtre, chant, musique, danses, jeux de lumière… Les rôles furent distribués selon les talents des élèves.

- Romain, tu vas où ?

- Aux ombres chinoises, ils ont besoin d’un lecteur et…

- Bah ! N’importe qui peut faire ça ! Viens avec nous à la chorale.

- J’aiderai un peu pour les décors, aussi. Je t’assure que ça me va très bien. On se retrouve pour la messe ?

- Comme tu veux.

Les garçons se séparèrent. Romain cherchait la solitude, comme souvent. Josselin savait par expérience qu’il valait mieux s’en séparer un moment que de lui imposer une compagnie, si aimable soit-elle. Le poète avait besoin de silence pour penser et rêver.

Philippe lui donna un coup de coude avant de s’éloigner, lançant un long regard appuyé vers le portail comme pour lui montrer quelque chose.

Romain se retourna et aperçut une jeune fille de quatorze ans, un peu perdue au milieu de la foule. Elle restait à l’écart, par timidité ou par discrétion.

Il reconnu aussitôt la pensionnaire qui s’était installée face à leur chambre. Il sourit à Philippe qui le guettait et, alors que les autres s’éloignaient avec la chorale, se dirigea vers elle.

- Salut. Tu es nouvelle ici, non ?

- Oui…, je suis arrivée lundi.

- Je sais. Enfin, je veux dire…

Elle sourit, amusée devant sa confusion.

- Je vous ai vus, toi et tes copains. Vous êtes dans la chambre en face. Pas très discrets …

- Excuse-nous.

- Je m’appelle Clarisse, et toi ?

- Romain. Tu fais les ombres chinoises, toi aussi ?

- Oui.

- On t’a vue dessiner. Tu y passes beaucoup de temps ?

- Autant que toi quand tu écris. C’est une passion.

- Comment sais-tu que j’écris ?

- Tu passes des heures devant la table. Je vous vois très bien, moi aussi, tu sais.

Le surveillant, Hervé, appela son groupe pour préparer le spectacle d’ombres chinoises. On entra dans la salle, Clarisse sur les pas de Romain.

- Comment se fait-il que tu arrives en milieu d’année ? demanda-t-il.

- Je vis chez mon oncle depuis ma naissance, mais sa femme a déclaré un cancer il y a quelques mois. C’est lourd, et si en plus il faut s’occuper de moi… Alors, on m’a envoyée ici.

- Il restait de la place ?

- On m’en a fait.

Clarisse baissa la tête. Romain n’insista pas. Hervé se démenait pour obtenir un peu d’ordre. Les deux pensionnaires s’installèrent autour d’une table pour écouter les consignes. Les autres élèves suivirent le mouvement, Hervé envoya un regard reconnaissant à Romain.

Le surveillant lut pour tous le conte à animer, puis on se précipita sur le papier cartonné pour dessiner les personnages et décors, dans une joyeuse pagaille. Après avoir contrôlé que les rôles soient bien distribués, Hervé vint s’asseoir près de Romain.

- Tu voudras lire ? proposa-t-il.

- Oui, je veux bien.

- On répètera une fois, quand tout sera dessiné et découpé.

- Tu as l’air fatigué.

- Ne t’occupe pas de ça. Il manque un personnage, tu ne veux pas t’y coller ?

- Lequel ?

- Le singe. Ça te va bien, merci Romain !

Sur ces paroles, Hervé se leva en souriant et alla répondre aux questions d’autres élèves qui l’appelaient. Romain, difficile à vexer, s’empara d’un bout de papier pour esquisser les traits d’un être informe.

Il dessina, gomma, reprit, effaça encore, déchira sa feuille, finit par perdre patience.

- Un singe…, râla-t-il. Moi qui ne sais même pas dessiner une fleur…

- C’est dommage, on aurait pu échanger, se moqua Clarisse.

Il la regarda, étonné par son ton railleur.

- Tu dois dessiner une fleur ? demanda-t-il.

- Un jardin. Mais tant pis : si tu ne sais pas faire, garde ton singe.

- Je peux faire un effort.

Elle rit, échangea leurs dessins.

- Tu rentres chez ton oncle pour les vacances ? s’enquit-il.

- Oui, dit-elle en s’assombrissant.

- Ça n’a pas l’air de t’enchanter.

- Ça risque d’être un peu triste, c’est tout.

- Elle est très malade, ta tante ?

- Elle est à l’hôpital, pour une chimiothérapie.

- Pourquoi vis-tu chez eux ?

- Mes parents sont en Amérique, je ne les connais pas. Ils ont des affaires plus importantes que moi. Je ne me plains pas, on a été très généreux avec moi.

Romain hocha la tête.

- Garçon, demanda Hervé en revenant vers eux, je peux te demander un service ?

- Oui, bien sûr !

- Mon frère se marie demain, je suis chargé du discours. Je l’ai fait, va, ne prends pas cet air-là ! Je voudrais juste que tu me corriges un peu les fautes.

- Moi ?

- Ah, non, pardon, je me suis gouré ! railla le surveillant. Évidemment, toi ! … Quand je fais ce genre de discours, je cherche à faire de belles phrases, et je me plante dans les tournures. Tu pourrais m’aider ce soir, pendant la récré ?

- Pas de problème, je suis flatté. Quel âge a-t-il, ton frère ?

- Vingt-huit ans.

- Vous avez dix ans de différence !

- Eh oui…

- Profites-en pour trouver une princesse.

Hervé sourit d’un air entendu, sans trop y croire malgré tout.

 

Les garçons se retrouvèrent pour la messe, Clarisse n’osa pas se mêler à eux et s’assit sur les bancs de derrière. Elle s’agenouilla pour se recueillir.

Quelques familles arrivèrent, celles des externes pour la plupart.

Romain regarda  Hervé qui s’avançait pour diriger le chant d’entrée. Puis, il ferma les yeux pour murmurer une prière.

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29 décembre 2012 6 29 /12 /décembre /2012 15:37

La salle de classe s’ouvrait sur l’extérieur par de hautes fenêtres boisées. La nuit fondait sur le parc de l’école, enveloppant les élégants bâtiments dans un manteau froid qui annonçait le début de l’hiver.

Assis devant son bureau sur une estrade, le professeur récitait son cours d’Histoire d’un ton monocorde.

Devant, on prenait note, par un automatisme intégré que plus personne ne cherchait à comprendre.

Au fond de la salle, le geste semblait moins évident. Les plus sérieux jonglaient avec leurs stylos tout en tendant une oreille ennuyée vers le professeur. Les autres discutaient de leurs dernières aventures autour d’un jeu de morpion interminable. Les murmures gonflaient, les élèves lançaient de temps à autre un regard craintif en direction de l’estrade, puis revenaient à leurs confidences en baissant le ton pour un moment.

Agacé, le professeur leva les yeux et remonta les lunettes qui lui glissaient le long du nez.

- Silence, au fond ! Je sais que vous êtes de pauvres cœurs insensibles au monde qui vous entoure, cependant…

- Le monde, c’est pas ça, grommela un garçon.

- Monsieur Arboussière, peut-être pourriez-vous nous faire part de vos réflexions ?

L’interpelé haussa les épaules. Son voisin appuya :

- Il n’a pas tellement tort. Ce que vous nous décrivez n’a rien de passionnant, alors que la seule évocation du « monde » a un côté fascinant.

- Bien, jeune homme. Pourriez-vous développer votre idée afin que nous puissions vous suivre dans les hautes sphères de la philosophie ?

Les ricanements que le professeur attendait ne vinrent pas. Le silence se fit pesant, les regards se fixèrent sur l’insolent qui avait eu l’audace d’affronter le terrible Monsieur Dembruns.

Le jeune homme réfléchit un instant, puis reprit :

- Eh bien, le mot « monde » a plusieurs sens. Il désigne notre univers ou un groupe de personnes, mais dans tous les cas, il a une sonorité captivante. Rien à voir avec ce que vous nous chantez depuis tout à l’heure.

- Monsieur Laparuche, j’apprécie votre franchise, mais votre impertinence est regrettable et vous vaudra quelques lignes à copier.

- Excusez-moi, Monsieur. On a vraiment du mal à suivre ce que vous dites, pourtant ce ne doit pas être inintéressant. Peut-être y a-t-il des façons plus attrayantes de dispenser votre cours ?

- En plus, c’est vendredi soir…, râla le voisin de derrière.

- Messieurs, je ne vous demande plus qu’un quart d’heure d’attention, faites donc un effort pour vous concentrer. Monsieur Laparuche, si vous avez des suggestions, vous serez le bienvenu après le cours, mais veuillez ne pas chatouiller mon ego devant la classe entière. On reprend ! La crise de Cuba de 1959…

Le silence était étonnant, après une telle intervention. Le jeune Laparuche reprit son stylo sans broncher. Son voisin, à moitié adossé à la fenêtre, échangea un regard dubitatif avec les garçons de derrière.

Le professeur marqua une pause dans son monologue, son regard enveloppa la classe attentive d’un regard satisfait…, avant de buter contre un visage rêveur.

- Batelier, vous vous égarez. Reprenez-vous, voyons ! Je vous rappelle que vous redoublez et n’avez plus droit à l’erreur.

Le jeune homme soupira et reprit son stylo. Le long discours reprit, interminable.

Le rêveur griffonna quelques mots dans la marge de son cours, prit quelques dates en note, tourna la tête vers la fenêtre… Irrésistible tentation…, il posa le menton sur sa main, délaissant ce cours rébarbatif pour un monde d’aventures aux vastes étendues de verdure.

Rêveur effréné, Romain, où qu’il aille, ne pensait qu’à aligner quelques mots, puis des phrases qui, mises bout à bout, remplissaient de longues pages blanches pour créer un monde, une atmosphère, une histoire.

Il sourit. Quel beau rôle que celui de faire rêver.

- Monsieur Batelier, deux fois !

Cruelle réalité… Romain hocha la tête, mordilla son stylo comme pour s’excuser.

Il se demanda ce que penseraient ses camarades du dernier chapitre qu’il avait écrit. L’histoire d’un pauvre gamin délaissé par sa famille, un grand cœur donnant ses forces jusqu’à mourir pour la haute société qui le méprise… Un…

- Romain, oh ! chuchota son voisin. Fais un effort, vieux ! Il reste sept minutes ! Si tu prends une colle maintenant, on ne pourra pas sortir ce week-end.

L’Incompris secoua la tête et s’arracha sans douceur à ses pensées.

- Pourquoi, demanda-t-il, tu as des plans ce week-end ?

L’autre leva les yeux au ciel.

- Un peu, oui ! Ça fait vingt fois que je t’en parle ! Tais-toi, on va se faire rôder.

Romain haussa les épaules.

- Qu’il me foute à la porte, je m’en fiche.

Le professeur s’arrêta dans ses explications, posa ses lunettes sur le bureau, se caressa la barbe, fixa les garçons.

- C’est trop demandé, quelques minutes d’attention ?

- Désolé…

-  Arrêtons-nous là, je ne suis pas un bourreau. Allez, zou : tout le monde dehors et bon week-end.

Les élèves se sourirent et se levèrent précipitamment, tout excités par la perspective de ce week-end.

Le professeur cacha un sourire bienveillant. Enseignant depuis quinze ans à Saint-Loup, il aimait cette joie évidente des vendredis soir.

 

Saint-Loup, école de garçons de la primaire à la terminale, accueillait des élèves de toute la France, dont la moitié était pensionnaire, ce qui expliquait d’autant plus l’allégresse des fins de semaine.

- Le premier arrivé au bus gagne ! Joss, tu rentres avec nous ?

- Non, je reste ici, ce week-end, avec Romain.

- Alors à lundi, gros kisses les gars !

Romain rangea ses affaires sans précipitation, un peu envieux de ses camarades qui partaient rejoindre leur famille. Josselin lui broya l’épaule.

- Allez, vieux, on a du pain sur la planche. On s’échappe ce soir, et on va faire un tour en ville.

- Tu es malade ? Si on se fait prendre, on va récolter des colles à la pelle ! et si on se fait renvoyer, je ne t’explique même pas le malaise…

- Sois marrant une fois dans l’année, quoi !

En passant devant le professeur, les garçons se turent.

- Monsieur Batelier, restez un instant s’il vous plaît.

- Je t’attends à la sortie, prévint Josselin.

Gêné, Romain suivit des yeux son compagnon, puis se retrouva seul face au professeur.

- J’ai vos résultats des derniers examens, déclara ce dernier. Très décevants. Il faut vous ressaisir, vous pouvez faire mieux.

- Je…

- Profitez un peu de ce week-end pour reprendre les choses en main.

- C’est si mauvais que ça ? s’inquiéta le jeune homme.

- Vous n’avez pas la moyenne au bac blanc. Vous rêvez trop. Passez un peu plus de temps à l’étude.

- Pas la moyenne…, répéta Romain sans y croire. Pourtant, j’ai fait des efforts, je…

- Essayez de travailler en groupe, avec vos amis. C’est plus porteur, et vous avancerez plus vite.

Le garçon hocha la tête, consterné. Le professeur rangea ses affaires et sourit à son élève.

- Allez, tâchez de vous y mettre dès ce week-end. Bon courage, car il en faut.

Romain sortit derrière l’homme et rejoignit Josselin qui l’attendait.

- Ça va, Rom ?

- Je n’ai pas la moyenne à mon bac blanc.

Josselin se mordit les lèvres et fronça les sourcils, déçu pour son ami. Le couloir était désert, quelques classes étudiaient encore en silence. Romain serra le poing avant de le cogner violemment contre un mur.

- Pas la moyenne ! C’est rageant !

Le mur trembla, le choc résonna dans le couloir vide. Josselin attrapa son ami par le bras et l’entraîna vers la sortie en courant.

- Imbécile ! Si quelqu’un t’avait vu !

Ils dévalèrent les escaliers, sortirent dans le parc pour s’écrouler derrière un mur, essoufflés. Josselin regarda son ami un instant, puis partit d’un joyeux rire. Romain replia les jambes sous le menton,  accablé.

- Romain, mon vieux, remets-toi. Tu l’auras, ton bac. Je te promets que tu l’auras, je réponds de toi.

- Ben voyons.

Josselin sourit et passa le bras sur les épaules de son ami.

- On l’aura tous, va…, on l’aura, crois-moi ! On va bosser, on décrochera même une mention, et des plus belles ! Allez, viens, on va à l’étude.

- Je croyais que tu voulais aller en ville.

- L’un n’empêche pas l’autre. On fera ça ce soir, quand tout le monde sera couché.

- Batelier ! s’exclama une voix impérative qui les fit sursauter. Je voudrais vous voir, et au plus vite. Suivez-moi dans mon bureau.

 

Le principal était un homme sec, immense, impressionnant. Romain se tassa et baissa le menton.

Josselin eut un regard désolé pour son ami, et l’encouragea d’une tape amicale sur l’épaule. Se trouver seul avec Monsieur Lecomte n’était jamais un moment de plaisir.

 

Le principal entra dans son bureau et referma la porte derrière Romain. Sans l’inviter à s’asseoir, il prit place derrière son large secrétaire, puis dévisagea le garçon suffisamment longtemps pour le mettre mal à l’aise.

- Monsieur Batelier…, lâcha-t-il avec mépris. « Monsieur » ? Vous ne méritez pas un tel titre. Personne ne m’a jamais fait l’affront d’obtenir des résultats si ridicules après un redoublement. Sept de moyenne ! Je m’étonne que vous n’ayez pas pris exemple sur vos camarades de chambre. Ils redoublent peut-être, mais ils ont des résultats corrects, eux !

« Vous êtes privé de sortie ce week-end, et vous passerez toutes vos heures de temps libre à l’étude. C’est clair ? »

Le visage de Romain avait perdu toute couleur.

- Mais, Monsieur, je…

- Pas de discussion, vous m’avez entendu. Prenez garde, car je veillerai personnellement à ce que ces engagements soient respectés. J’espère être suffisamment clair. Déguerpissez, maintenant. Et estimez-vous heureux de ne pas récolter une exclusion. C’est pourtant tout ce que mérite un paresseux comme vous !

- Je ne suis pas paresseux ! rétorqua le jeune homme.

- Vous êtes paresseux et insolent. Sortez.

Romain, tremblant de rage et d’impuissance, se leva pour sortir. Il aurait voulu claquer la porte, n’osa pas le faire.

Dans le couloir, il s’écroula sur le banc, fondit en larmes. Tant d’injustice le révoltait.

Certes, il lui arrivait encore souvent de s’égarer dans ses rêves, mais il en avait fait, des efforts et des sacrifices, ces premiers mois.

- Romain ? Que se passe-t-il ?

 

Ce n’était pas Josselin. La voix était grave, douce. Le garçon essuya ses larmes d’un revers de manche.

Le directeur de l’école, Monsieur Janvier, le regardait, un peu étonné par tant de détresse de la part d’un jeune qu’il savait volontaire.

- C’est…, Monsieur Lecomte m’a… J’ai tout raté !

- Vous n’avez certainement pas tout raté, objecta l’homme. Suivez-moi, nous avons à parler tous les deux.

Romain leva sur lui un regard craintif. Le directeur sourit, le prit doucement par le bras et le guida à son bureau.

- Asseyez-vous. Dites donc, ça fait longtemps qu’on se connaît, tous les deux, vous pourriez avoir un peu confiance en moi, non ?

Le lourd bureau de chêne était planté au milieu de la salle, devant une bibliothèque impressionnante. Quelques plantes vertes apportaient une touche de fraîcheur à la pièce, qui était éclairée par une haute fenêtre à carreaux.

- Vos résultats sont décevants, n’est-ce pas ? reprit Monsieur Janvier. Avez-vous vu vos notes ?

- Non.

Le directeur fouilla dans ses papiers et choisit une feuille qu’il tendit au pensionnaire. Celui-ci la parcourut un instant, puis soupira.

- Vous êtes doué dans les matières littéraires, constata Janvier. Vous aimez cela ?

- Oui, beaucoup.

- Pourquoi n’avoir pas choisi la section littéraire ?

- Ce sont mes parents qui ont choisi.

- Je vois… Vous lisez beaucoup ?

- Oui. J’écris, aussi.

- Vous écrivez, vraiment ? Des poèmes ? Des nouvelles ?

- Des romans.

- Vous les faites lire ?

- Parfois aux copains, le soir, dans la chambre.

- C’est très bien, ça ! Que vous en disent-ils ?

Romain rougit, baissa la tête.

- Ils trouvent ça bien, la plupart du temps.

- Vous pensez en faire quelque chose ?

- Vous voulez dire, éditer un roman ?

- Oui, par exemple.

- J’y pense un peu, mais je dois encore m’améliorer… Et puis, je n’ai pas tellement le temps…

- Vous avez plus de mal avec les sciences… Vous savez que vous pouvez suivre des cours de soutien scolaire, le mercredi. Les mathématiques, c’est de la méthode. Il faut travailler, mais vous y arriverez.

- Je n’ai jamais été si mauvais en maths.

- Il ne faut pas vous décourager. Vous avez fait des efforts, ça s’est vu, les professeurs le disent. Ça n’a pas porté de fruits au premier trimestre, eh bien ! ça viendra, ne vous en faites pas. Continuez, bossez des annales, fixez-vous des horaires de travail. La persévérance porte toujours ses fruits. Cependant, gardez-vous un peu de loisir.

- Je suis privé de sorties ce week-end, alors vous savez…

- C’est Monsieur Lecomte qui vous a dit cela ? Je lui en parlerai. Je le connais bien, vous savez. En revanche, j’aimerais vous voir de temps en temps au soutien, le mercredi. Ça vous aidera beaucoup.

- Je viendrai.

- On arrivera à faire quelque chose de vous, ne vous en faites pas. Pourvu que vous gardiez votre volonté… Vous êtes-vous intéressé à votre orientation ?

- Je n’ai pas vraiment le choix, mes parents voudraient…

- Vos parents ont leur mot à dire, bien sûr, mais vous êtes le premier concerné, Romain. Renseignez-vous et soyez acteur de votre avenir. Ne vous laissez pas avoir. C’est votre vie, que vous construisez. Pensez-y.

Le garçon acquiesça. Le directeur sourit.

- Je crois que Josselin vous attend, je l’ai croisé dans le couloir tout à l’heure. Allez le rejoindre, et gardez confiance en vous. Vous y arriverez… Et pensez à moi si vous avez besoin de l’avis d’un lecteur !

Romain sourit, réconforté. Ils échangèrent un regard amical, puis le garçon s’échappa pour retrouver son camarade.

 

- Où va-t-on ? demanda Josselin.

- À l’étude. Je ne peux pas sortir ce soir avec toi, Joss…

- Pourquoi ? Qui le saura ?

- Le directeur me fait confiance. Je ne veux pas le trahir.

- Le dirlo ? Tu es sérieux ?

Romain hocha la tête, son ami sourit et le prit par l’épaule.

- Mon vieux, tu me surprendras toujours !

- Tu me trouves bien naïf et fayot, surtout.

- Pas du tout. Je trouve que tu as du cœur. Frérot, si tu étais scout avec moi, on ferait de grandes choses !

Romain sourit.

- J’aurais aimé, crois-moi.

- Quand on sera sortis de là, je te ferai entrer comme chef, avec moi, à la troupe.

- Je croyais que tu voulais partir au Canada.

- Où est le problème ? Tu viendras avec moi ! rit Josselin. Bah, on verra. Dis, tu as fini ton chapitre de la semaine ?

- Oui.

- Tu me feras lire, ce soir ?

- Lundi, avec les autres. Le temps pour moi de peaufiner un peu.

Josselin était le meilleur ami de Romain, mais aussi son lecteur le plus assidu. Il était heureux de pouvoir partager ses rêves, ses pensées les plus profondes avec lui qu’il aimait comme un frère.

- C’est gentil d’être resté ce week-end, Joss.

- Je t’en prie. Ça me fait du bien d’être avec toi, un peu. En plus, ça ne doit pas être drôle de nous voir partir, chaque fois.

- On s’y fait… D’un autre côté, je ne vous envie pas tellement de retrouver vos parents. Les miens ne me manquent pas.

- Tu dis ça, mais ils te manquent, j’en suis sûr. S’ils se comportaient avec toi comme avec ton frère…

- Ce n’est pas le cas et ça ne sert à rien d’en parler.

- Tu le feras venir, ton frère, un jour ?

- Oui, ça pourrait être drôle. En fin d’année, pour les confirmations.

- Je suis curieux de voir si je saurai te reconnaître, avec lui à côté.

- Bah ! Nous sommes jumeaux, peut-être, mais pas clonés, ne t’inquiète pas.

Les lycéens se turent avant d’entrer dans la salle d’étude, sous le regard sévère du surveillant.

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28 décembre 2012 5 28 /12 /décembre /2012 22:47

   Le gamin a douze ans, il est un peu obscur, les yeux très sombres, il ne parle pas. Jamais.

   Il n’a pas de nom. Il a un pseudo qu’il s’est donné : Abraham, à cause d’un vieillard à moitié vivant qui lui a adressé la parole, le premier à le remarquer depuis ses cinq ans. Le dernier, aussi. Le chien du vieillard avait un nom de patriarche, mais le gosse ne se rappelle plus lequel. Et Abraham, ça sonne bien, pour un enfant abandonné.

   La nuit se retire de terre, laissant un parfum aigre-doux dans l’air. La bruine transperce la vieille couverture déchirée du gamin. Ses genoux grêles s’entrechoquent à chaque pas, il marche le dos courbé, la bouche rentrée sous la couverture pour y souffler un peu de chaleur.

   Il a les chaussures lourdes, comme son cœur qu’il traîne derrière lui, dans la neige. Il va jusqu’au village, où il sait qu’il rencontrera la même indifférence que partout ailleurs. On ne le regardera pas. On se saluera entre bonnes gens sans faire attention au gamin enguenillé qui passe. La routine. Cette routine qui pèse comme une pierre énorme sur ses épaules de gosse trop vite grandi. Un gosse dont on n’aime pas le visage parce qu’il est douloureux, que la souffrance qu'il renferme est effarante ; parce qu’il est grave, qu’on a peur d’avoir tous les torts devant cet innocent rejeté.

 

   Abraham étouffe. Il faudrait que les gens sachent que lui aussi a un « moi », qu’il pense et qu’il vit. Qu’il voudrait bien qu’on l’aime, pour voir ce que ça fait. Parce que, la seule preuve d’amour qu’il ait jamais reçue, c’est ce vieillard mourant qui demandait de l’aide, qui l’appelait lui, plutôt qu’un autre. Et, alors qu’il voulait se laisser crever au bord d’un chemin, comme ce pauvre renard qu’il avait croisé, le gamin s’était senti la force de repartir. Un an, deux ans. Pour finalement revenir à cette obsession de la mort.

 

   Se faire remarquer. Attirer l’attention. Exister. Exister ! C’est un cri d’angoisse, angoisse intérieure que personne n’entend. Parler, parler pour qu’on lui réponde. Mais que dire ? que faire ? comment être sûr de ne pas aller droit à l’échec, qui serait encore plus terrible que la routine ?

   Le désespoir ronge l’âme de l’enfant.

 

   Il va s’asseoir au milieu de la rue. On ne pourra plus passer sans l’écraser. Et si on l’écrase, qui s’en soucie ? Il s’en fiche. C’est vrai, après tout, ça lui est égal, ça ne lui fera pas plus de mal que ça, la mort. Vachement bonne idée, de se mettre au milieu de la rue.

   Un cheval vient, peut-être deux, il ne sait pas, il a fermé les yeux et posé le front sur ses genoux. Il n’a pas peur, non, mais il est à bout. Il n’a même pas envie de pleurer, ça ne mérite pas une telle considération. Allez, qu’on le piétine et qu’on en finisse. On dirait que les chevaux ont stoppé, ou qu’ils ont fait un détour, comme s’ils ne l’avaient pas vu. Sublime torture.

   De toute façon, il ne bougera pas. Il crèvera là, rien de moins. Ce n’est pas héroïque, mais ça n’a pas d’importance. Il faut vivre ou mourir. Et vivre, c’est impossible seul.

 

   Abraham attend.

   On dirait que quelqu’un gueule. Oui, en gardant les yeux fermés, il lui semble que la première voiture s’est arrêtée sans bruit, et que le charretier qui arrive derrière jure à n’en plus finir, parce que c’est marché ce matin, et la marchandise, vous comprenez, faut qu’elle arrive, sinon…

   Un parfum… un parfum de femme, de violette. Le gosse ferme les yeux plus fort, et un sourire se dessine sur ses lèvres. Ça doit venir de la haute, un parfum délicat comme ça. Il y a une voix de femme, aussi, douce, très douce. Mais les autres voix la couvrent. Les mots, les phrases se mélangent, on n’y comprend rien, à la fin. C’est étourdissant, tant de bruit après des années de silence.

   On lui donne des coups, pour qu’il bouge. Il se laisse tabasser en souriant. On l’a donc remarqué, puisqu’on veut le dégager. Aïe, dans les reins ce n’est pas agréable. Mais on s’en fiche, non ?

   La voix douce proteste. Est-ce que la voix et le parfum vont ensemble ? Ce serait une belle dame aux cheveux blonds, comme il en a vue une, un jour, mais qu’elle, elle ne l’a pas vu.

   Un coup de pied dans la tempe…, ça bourdonne, ça papillonne. Le gamin tangue de droite à gauche, sonné. Et puis, la boule de haillons se disloque, et c’est un pauvre corps qui s’effondre dans la boue de la chaussée.

   Le parfum de violette se précipite et s’agenouille devant le miséreux. Regardez-le, il est tellement jeune, laissez-le. Arrêtez de lui faire du mal. On va le soulever, et le mettre sur le côté. Dame oui, c’est une bonne idée. On pourra faire passer la voiture et la charrette, ainsi.

   On le soulève, on le jette sur le trottoir. Le parfum de violette s’estompe. Le gamin respire encore, les brutes sont rassurées : elles n’ont tué personne.

   Les sabots des chevaux cognent sur le pavé, le bruit s’éloigne. Le gosse est couché sur le côté, on va le laisser là, il va se relever tout seul : ça se relève toujours, la vermine.

   Les passants l’enjambent sans le voir, on coupe court aux questions embarrassantes des enfants qui s’étonnent. Quand même, il n’est pas beau, ce gamin, avec son visage dur.

 

 


   Depuis combien de temps est-il là, ce ballot ? On lui a marché sur la main, on a buté contre son visage, on le piétine consciencieusement, mais il ne se réveille pas. La nuit tombe. On ne va pas le laisser ainsi : si quelqu’un venait à chuter à cause de lui ?

   On lui verse de l’eau glacée sur le visage, comme s’il n’était pas assez gelé. Il ne bouge pas. Un chien lui lèche le front. Son maître le tire en arrière : il ne faudrait pas que l’animal attrape des puces. On fait glisser le corps du gamin sur le côté, pour que les gens puissent passer.

 

   La nuit d’hiver l’enveloppe.

   Le froid engourdit le corps pour taire la douleur.

 

   Doucement, l’âme se détache de cet amas de souffrance.

 

   L’enfant est mort.

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20 janvier 2012 5 20 /01 /janvier /2012 13:44

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Bengy, La Ferme aux OEillets.

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Manon Chastel, La Ferme aux OEillets.

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Alexandra et Cassiopée, Famille Blanc.

El3éon3ore

Eléonore Agostin, La Ferme aux OEillets III.

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Eléonore Agostin, La Ferme aux OEillets III.

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9 avril 2009 4 09 /04 /avril /2009 16:25

Il avait dix-huit ans
Et c'était mon ami,
Parfois en riant,
Il parlait de la vie.

Il disait que c'était
Seulement un sourire
Car souvent il pensait
Qu'elle le laisserait grandir.

Pouvait-il imaginer
Sous un soleil de plomb
Un printemps, un été
Sans entendre un pinson ?

Pouvait-il deviner
Sous ses cheveux si blonds
La triste réalité
Et le chant du canon ?

Il avait dix-huit ans
Et c'était mon ami
Et puis est venu le temps
Que la mort a choisi.

Quoi de plus trivial
Que d'aller envoyer
Sur un champ de bataille
Un gosse condamné ?

Il avait un regard
De ceux qu'on n'oublie pas,
Il était comme un phare
Pour les navires las.

Je ne l' ai jamais vu
Faiblir une seule fois,
Pour tous ceux qui l'ont connu
Il était aux abois.

Il avait dix-huit ans
Et c'était mon ami,
Il était confiant
Dans sa jeunesse étourdie.

Il avait un sourire
Qui semblait éternel,
Il pensait pouvoir rire
Encore une fois pour elle.

Mais l'armée l'a happé
Au détour d'un chemin,
Et on l'a enrôlé
Pour aller à Berlin.

Il s'y est résolu,
Il a quitté ses pairs,
Jeté son dévolu
Et marché vers la guerre.

Il avait dix-huit ans
Et c'était mon ami,
Il est mort en bravant
Les souffrances du pays.

Il a vu des horreurs,
Les cris de l'ennemi,
Surmonté sa terreur,
Et tiré les perdrix.

Mais hélas pour lui
Il était généreux,
Il a baissé son fusil
Devant un homme ténébreux.

Il ne s'est pas cru digne
D'aller dans un pauvre coeur
Ficher une balle maligne
Et apporter le malheur.

Il avait dix-huit ans
Et c'était mon ami,
Il allait en chantant
Défendre son pays.

Il avait le coeur pur
Et le regard profond,
Mais c'était un dur
Et un gai luron.

Il allait courageux 
Et la fleur au fusil
Dans ce terrible lieu
Déjà dénué de vie.

Il a voulu défendre
Dieu et son honneur,
S'évaporer en cendres
Plutôt que d'avoir peur.

Il avait dix-huit ans
Et c'était mon ami,
Il était bien-portant 
Et la vie l'a trahi.

Il nous faisait rire,
Nous contait des histoires
Et jouait de sa lyre
Pour les veillées le soir.

Il prenait tout son temps
Pour vivre un idéal,
Il n'a pas vécu longtemps,
Joué par l'esprit du mal.

Comme il ne pouvait détruire,
Son plus jeune adversaire
L'ajusta de son tir
Et le réduisit en poussière.

Il avait dix-huit ans
Et c'était mon ami,
C'est les yeux scintillants
Qu'il a donné sa vie.

Il est parti
Dans une prairie sans fleurs,
Il a péri
Une balle en plein coeur.

Ses cheveux d'or
Parsemaient la prairie,
Ses yeux alors 
Ont pleuré les furies.

Ses prunelles d'azur
Ont perdu leur éclat
Et sous ses airs sûrs
Il passa au-delà.

Il avait dix-huit ans 
Et c'était mon ami,
Que jamais je ne l'oublie,
Et qu'il vive éternellement.

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3 mars 2009 2 03 /03 /mars /2009 18:24

Je voudrais leur dire,
Dire au monde entier,
Arrêtez de saoûler,
Laissez-moi chanter !
Je veux être libre,
Qu'on me laisse vivre.
Je veux pas écrire
Pour être jugée.
J'veux écrire pour rire
Et pour faire rêver.
Marre d'être traînée,
Tout ce que j'demande
A ces étonnés
Me laisser rêver,
C'est pas compliqué.
Rêver, m'amuser,
Sourire et pleurer.
Pleurer, même pleurer,
Mais pas travailler,
Pas du moins pour eux,
Mais pour ceux que j'aime.
Je voudrais leur dire,
Dire au monde entier,
Laissez-moi chanter,
Danser et rêver,
Construire, découvrir
Un Monde Nouveau.
Laissez-moi partir
Et puis revenir.
J'veux vivre ma vie
Et me débrouiller.
Je voudrais chanter
Pour tous ceux que j'aime,
Pour ceux dont je sais
Qu'ils ont bien un coeur
Et qu'ils n'ont pas peur,
Pas peur de chanter.
Je voudrais partir
Loin dans la campagne
Ou dans la montagne,
Partir, rester seule,
Déverser mon coeur
Ma peine, mon bonheur
Revenir légère
Pour pouvoir leur dire
Que tous je les aime
Que je compte sur eux,
Qu'avec eux, pour eux
Je veux pouvoir rire,
Rêver et chanter.

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17 décembre 2008 3 17 /12 /décembre /2008 21:22

 

Un  jour  j'ai croisé les Scouts.  Depuis, je ne les ai jamais quittés.
Toujours  joyeux, jamais contents, c'est  un principe de rechigner.
Mais dans le fond, toujours heu
reux et toujours prêts à vous mon-
trer ce qu'ils savent  faire.  Là po
ur chanter, là pour servir, là pour
chanter en servant...Pourquoi faire compliqué quand il y a simple?
C'est  ça  le scoutisme,  c'est ai
mer  la vie  et  se les peler  dehors !
Manger des raviolis froids et s'e
njouir,c'est se plaindre en riant,
mais  savoir  être  franc. Et quan
d rien  ne va plus,  les  autres sont
toujours  là, et on  compte sur eux. C'est aussi être loyal, et fier de
ses  attaches.  Patriote et fils de Dieu... Un pays,  c'est une histoire
et  l'histoire d'un pays, de  son pa
ys, c'est  la plus belle de toutes.Et
le camp,  parlons-en,  c'est sous le soleil comme  sous la pluie,  des
chansons  et  des jeux,  des olympiades et des explos.  Faut accepter
d'être crotté, faut accepter d'être mouillé, jusqu'à dormir par terre
tapis  inondé.  Mais faut en rire,  p
as en pleurer,  c'est la vie,  ça te
rend  fort.  Le  plus dur,  c'est d'êtr
e pur,  car les pensées  ça va tout
seul, pour les arrêter, faut être fo
rt et pour être fort, il faut chanter.

    
     Horreur--la-tente-s-envole--.jpg

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