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9 août 2013 5 09 /08 /août /2013 23:02

    Elle, c’est une acrobate talentueuse. Elle voltige sous un chapiteau géant, à la lumière puissante des projecteurs blancs. Elle ravit les yeux des spectateurs en tournoyant dans les airs, à vingt mètres au-dessus de leurs têtes.

La foule l’acclame sans relâche. Elle est si jeune, comment peut-elle être à l’aise là-haut ? À chaque instant, on serre les dents, effrayé à l’idée de la voir tomber. Le public est suspendu à chacun de ses gestes, alors qu’elle se suspend à son trapèze.

    Les applaudissements font exploser le chapiteau. Elle sourit et agite la main à la façon des enfants. Elle a vingt ans, paraît-il. Elle ne les fait pas, son sourire est si pur !

 

  Lui, c’est le clown du cirque. Pas le clown blanc, un brin trop sérieux pour être crédible, non. Le vrai clown clownesque, le comique de la bande à qui on a naturellement donné le rôle qu’il tenait depuis toujours. Il soutire l’enthousiasme du public le plus sombre, quelle que soit la moyenne d’âge. Comble de sublime, il parvient à faire rire les saltimbanques eux-mêmes, qui pourraient penser connaître tous ses tours.

   Le soir, après le spectacle, on s’assied autour d’un feu de camp, chacun se remettant de ses efforts. Lui, il détend l’atmosphère. Quand il parle, c’est comme si la pression redescendait tout à coup. On l’écoute. On le regarde. On rit. La joie revient au camp, les conversations reprennent, légères…

    Tout le monde l’aime.

 

   Quand elle voltige, il ne la quitte pas des yeux. Sous son nez rouge, sa perruque rousse et son maquillage qui lui donnent des airs ballots, il cache un esprit subtil, une âme de poète. Surtout lorsqu’il la voit.

   Ils se connaissent depuis toujours, ils ont grandit ensemble. Depuis quelques années, déjà, ce ne sont plus des enfants. Les choses du cœur se sont emparées de leur insouciance, et voilà qu’ils s’aiment. Profondément.

On les mariera, allez ! Cela fera vivre le cirque. Ils sont beaux, tous les deux…, ils auront de beaux enfants. Quelle joie !

 

    Elle se balance sur son trapèze. D’avant en arrière, ses jambes fines et musclées repliées sur le morceau de bois. La tête en bas. Les bras gracieusement tendus vers le sol.

  Dans un instant, elle va s’élancer dans les airs, et son père la rattrapera de ses mains puissantes. Les saltimbanques se rient de l’anxiété du public : ils ont vu tant de fois ce numéro, et c’est toujours la même inquiétude, le même saisissement qui s’empare de la foule.

 

  On tape sur l’épaule du clown. Il quitte la vedette des yeux et se tourne vers celui qui l’appelle. Presque immédiatement, un frisson d’horreur parcourt l’assemblée qui se lève en criant son angoisse.

Il ne se retourne pas tout de suite. Instinctivement, il retient son souffle et son ventre se noue, jusqu’à gagner sa gorge. Il sait déjà ce qui s’est passé.

 

    Elle est tombée.

 

    Il l’a quittée des yeux, et elle est tombée.

 

    Le monde tourne au ralenti.

    Les battements du cœur du clown s’amplifient et accélèrent, comme pour remonter le temps.

    Dieu, qu’il fait chaud !

    Il n’entend plus la foule.

 

    Il se retourne.

    Elle est là, gisant dans le sable, au centre de la scène. Elle. L’élue de son cœur. Il ne voit pas le père pétrifié sur la plateforme, là-haut. Il ne voit qu’elle. Tout le reste s’efface.

     Il court vers elle. Se jette à genoux à son côté.

 

     Elle est morte.

 

     Le cirque disparaît aux yeux du clown.

     Les jours passent, longs, insipides.

    Allons, il faut réapprendre à vivre ! Les veillées se font pesantes : le clown reste silencieux, lui qui distrayait tout le monde. Parfois même, au milieu d’une conversation, il se lève et va s’asseoir sur les marches d’une roulotte, seul dans la nuit.

    Il ne joue plus pour les foules. Personne ne cherche à le traîner sur la scène, la partie serait perdue d’avance.

   De son beau sourire, personne n’a plus souvenir. Parfois, quelqu’un essaye de le raisonner, car il faut vivre ! Il semble écouter, mais n’entend pas. Son regard se vide, ses mains tremblent. Le nez rouge a roulé dans une flaque de boue, fatigué de suivre son maître qui le délaisse, et tout le monde l’a oublié. Le jeune homme vit dans une bulle. Personne ne peut plus l’atteindre. Il ne sent même pas lorsqu’on le touche.

 

    La foule s’étonne de voir un cirque sans clown. Personne n’a le cœur de le remplacer. Parfois, un enfant réclame des grimaces, des blagues. Les saltimbanques baissent la tête. Le clown ne réagit même pas, prostré.

Il ne fait plus rire personne. On pleurerait, plutôt, en le voyant.

 

    Et puis, la vie reprend le dessus. Le groupe, de ville en ville, présente ses spectacles. Les acrobates reprennent leur assurance. Chacun fait son deuil. Les veillées sont plus détendues, quelques rires résonnent entre les roulottes, quelques chants.

  L’un des jeunes raconte un conte, l’autre lance une plaisanterie. On oubliera le clown triste. Il n’est plus saltimbanque, il n’est qu’un boulet que l’on traîne, d’étape en étape. Quelqu’un le remplacera. Le cirque pourra à nouveau amuser les foules par un nez rouge et des chaussures immenses.

Tout s’oublie.

 

 

    Un soir, alors que les roulottes s’aligneront sur la route, il remontera le convoi dans le sens inverse, et il partira. Loin de son nez rouge. Pour la rejoindre.

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1 août 2013 4 01 /08 /août /2013 09:52

   La jeune fille a vingt ans et des rêves plein la tête. Quand elle était petite, elle voulait être écrivain. De mauvaises notes en punitions, le français l’a abandonnée. Elle n’aurait rien lâché, pourtant, tant pis pour lui.

   Renvoyée de plusieurs écoles, puis de chez elle par des parents honteux, elle a pris son sac et frappé à la porte d’une immense maison au parc entouré de murs de pierres. C’est une moniale qui l’a accueillie, d’un grand sourire qui séchait d’un seul coup toutes les larmes de la fille.

   On lui a donné une chambre à l’écart. Le monastère est planté sur un flanc de montagne auquel accèdent quelques randonneurs et curieux. Il paraît hors du monde. Cela a fait l’affaire de la jeune fille.

  On lui a confié la charge du magasin, dans lequel sont exposés poteries, bijoux, chapelets, santons, statues, images, ainsi que de nombreux fruits du travail patient des petites sœurs.

   Chaque matin, la fille court jusqu’au village le plus proche et ramasse les intentions de prière qu’on lui donne. Tantôt, c’est la mère du boulanger qui menace de passer l’arme à gauche, tantôt c’est une jeune fille qui a le cœur brisé par une infidélité de son fiancé, tantôt une action de grâce pour une fête réussie, tantôt une supplique pour que le monde se porte mieux.

   Elle fourre dans la poche de sa robe les papiers chiffonnés qu’on lui donne, et elle remonte plus lentement, marchant le long de la route qui serpente entre les sapins sombres. Elle arrive là-haut pour la messe, qu’il neige, qu’il vente ou que le soleil écrase la forêt de sa chaleur.

     Les sœurs l’aiment bien.

     Elle ne souhaite pas prendre l’habit. On lui fiche la paix avec ça, et elle ne veut pas d’autre existence.

   Le dimanche, alors que le magasin est fermé, elle prend le sentier étroit qui grimpe encore plus haut dans la montagne. Elle marche d’un pas lent, régulier, elle souffle en montant, et ne s’arrête qu’une fois arrivée sur la crête.

    D’ici, on distingue d’un côté le Mont Blanc et sa chaîne de montagne majestueuse – comme si chacun de ces reliefs était un sujet du fier point culminant ; de l’autre le lac Lément, magnifique étendue bleue au milieu d’un paysage plus urbanisé, entre forêts, cultures, bâtiments et axes routiers.

    Quand le soleil s’en mêle, le tout est presque féérique. Elle a beau venir tous les dimanches, c’est chaque semaine une impression nouvelle. Alors, seule là-haut, elle se met à danser dans ses petites baskets de toile. Ce sont d’abord des pas insignifiants, puis des dégagés, des arabesques, des sauts de chat, des figures douces et gracieuses.

Son deuxième rêve, c’était de devenir danseuse étoile. Quand on l’a chassée de la maison familiale, elle a vu ce projet s’écrouler à son tour. Elle danse sur les crêtes, entre trois pays différents : la Suisse, l’Italie et la France. Ce n’est pas si mal.

 

    Quand on lui demande au village si on a bien prié pour la grand-mère malade, elle répond d’un sourire que, grâce à la prière des petites sœurs, le Ciel se charge de l’affaire.

   C’est une existence simple. Elle a la solitude de l’écrivain, la griserie de la danse aux sommets, le bonheur du sourire offert sans compter. Un jour, elle épousera un vagabond un peu poète, un marchand de chansons ou quelque chose comme ça.

     Elle est heureuse.

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24 juillet 2013 3 24 /07 /juillet /2013 18:08

      C’est l’histoire d’une fillette toute jeune et fraîche, une jolie petite brune espiègle, avec un sourire plus large que le visage. Elle va son chemin, lisant dans chaque regard un peu de poussière à enlever, s’efforçant de donner tout ce qu’elle peut à chacune des personnes qui se présentent sur son passage. Il paraît qu’à tout donner, on reçoit plus encore. Ce n’est pas ce qui la préoccupe.

     Elle voudrait apporter le bonheur partout autour d’elle, panser les plaies béantes des âmes meurtries… Elle ne peut pourtant pas tout faire. Elle court, portant son sourire comme une bannière qui la précède. Elle vole de l’un à l’autre, amenant partout le bonheur avec elle.

      Elle n’a pas une colère, pas un agacement. Pourtant, parfois on lui ferme la porte au nez, elle la reçoit violemment en pleine figure. Elle ne pleure pas, elle n’a pas même une grimace. Elle se relève bravement, solide et joyeuse.

 

     Chaque coup lui laisse pourtant une cicatrice et l’ébranle un peu. Devenue jeune fille, elle porte ces marques comme un lourd fardeau. Elle va les chemins, traînant ce poids dans les ronces des chemins boueux, qui arrachent et tâchent sa robe au passage. Elle sourit, se présente et propose son aide aux passants. Reçoit de rares remerciements, des ingratitudes, d’autres coups.

     Beaucoup de gens s’en sortent bien grâce à elle, mais ne veulent pas croire qu’elle y est pour quelque chose. On évoque le hasard, les amitiés, le temps. La jeune fille repart sans rien objecter. Quand l’hiver vient, elle erre le ventre vide, les dents claquant dans l’air glacé, le sourire toujours aux lèvres.

 

     Sourire lui demande de plus en plus d’effort. Les sourires ont un prix lorsqu’on voudrait pleurer. Ils lui volent ses forces. Le chemin se fait de plus en plus long, de plus en plus difficile. La femme s’enfonce dans la boue, serre les dents pour s’en sortir sans gémir. Déjà, il ne s’agit plus de sourire mais bien de ne pas pleurer.

     Alors qu’elle aurait besoin d’aide, c’est elle qui la propose aux autres. On la reçoit comme un dû. Cette femme est étrange, quelle bêtise de n’avoir pas d’éducation, de se priver ainsi d’un parti convenable ! On ne s’en soucie pas plus que cela. Elle ne demande rien à personne et, somme toute, c’est toujours agréable d’avoir un peu de soutien, même si on ne le montre pas.

     Quand elle croise un voyageur affamé, elle lui cède sa part de pain dur sans lui révéler qu’elle n’a pas mangé depuis plusieurs jours. Elle donne le meilleur aux autres, et garde…, ne garde rien pour elle.

 

     Cette vieille femme est folle. Qui la connaît ? On préfère l’éviter, on lui parle sèchement, elle doit être insensible car cela ne semble pas lui faire de peine. Quand elle demande un gîte sur sa route, on la chasse durement, elle se contente du moelleux de la neige, et ça ne lui fait pas de mal, té, ça lui apprendra qu’il faut travailler.

     Les enfants lui lancent des pierres. Ça ne l’atteint pas. Elle se courbe seulement un peu plus sous le poids de ces attaques. Et quand elle ne peut plus avancer, elle s’arrête. Elle est dans un bois sombre. Elle se laisse tomber à terre. Ici, on ne la trouvera pas. Elle ferme les yeux, recroquevillée sur elle-même. Son beau sourire fond en larmes salées.

     Elle a donné sa vie aux autres, on l’a payée par des injures.

 

     Les flocons tourbillonnent autour d’elle et l’ensevelissent en silence.

     Un silence oppressant.

     Un silence de mort.

 

 

     Les bras blancs de la neige l’enserrent sans rencontrer aucune résistance.

     Elle n’est plus de ce monde.

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28 décembre 2012 5 28 /12 /décembre /2012 22:47

   Le gamin a douze ans, il est un peu obscur, les yeux très sombres, il ne parle pas. Jamais.

   Il n’a pas de nom. Il a un pseudo qu’il s’est donné : Abraham, à cause d’un vieillard à moitié vivant qui lui a adressé la parole, le premier à le remarquer depuis ses cinq ans. Le dernier, aussi. Le chien du vieillard avait un nom de patriarche, mais le gosse ne se rappelle plus lequel. Et Abraham, ça sonne bien, pour un enfant abandonné.

   La nuit se retire de terre, laissant un parfum aigre-doux dans l’air. La bruine transperce la vieille couverture déchirée du gamin. Ses genoux grêles s’entrechoquent à chaque pas, il marche le dos courbé, la bouche rentrée sous la couverture pour y souffler un peu de chaleur.

   Il a les chaussures lourdes, comme son cœur qu’il traîne derrière lui, dans la neige. Il va jusqu’au village, où il sait qu’il rencontrera la même indifférence que partout ailleurs. On ne le regardera pas. On se saluera entre bonnes gens sans faire attention au gamin enguenillé qui passe. La routine. Cette routine qui pèse comme une pierre énorme sur ses épaules de gosse trop vite grandi. Un gosse dont on n’aime pas le visage parce qu’il est douloureux, que la souffrance qu'il renferme est effarante ; parce qu’il est grave, qu’on a peur d’avoir tous les torts devant cet innocent rejeté.

 

   Abraham étouffe. Il faudrait que les gens sachent que lui aussi a un « moi », qu’il pense et qu’il vit. Qu’il voudrait bien qu’on l’aime, pour voir ce que ça fait. Parce que, la seule preuve d’amour qu’il ait jamais reçue, c’est ce vieillard mourant qui demandait de l’aide, qui l’appelait lui, plutôt qu’un autre. Et, alors qu’il voulait se laisser crever au bord d’un chemin, comme ce pauvre renard qu’il avait croisé, le gamin s’était senti la force de repartir. Un an, deux ans. Pour finalement revenir à cette obsession de la mort.

 

   Se faire remarquer. Attirer l’attention. Exister. Exister ! C’est un cri d’angoisse, angoisse intérieure que personne n’entend. Parler, parler pour qu’on lui réponde. Mais que dire ? que faire ? comment être sûr de ne pas aller droit à l’échec, qui serait encore plus terrible que la routine ?

   Le désespoir ronge l’âme de l’enfant.

 

   Il va s’asseoir au milieu de la rue. On ne pourra plus passer sans l’écraser. Et si on l’écrase, qui s’en soucie ? Il s’en fiche. C’est vrai, après tout, ça lui est égal, ça ne lui fera pas plus de mal que ça, la mort. Vachement bonne idée, de se mettre au milieu de la rue.

   Un cheval vient, peut-être deux, il ne sait pas, il a fermé les yeux et posé le front sur ses genoux. Il n’a pas peur, non, mais il est à bout. Il n’a même pas envie de pleurer, ça ne mérite pas une telle considération. Allez, qu’on le piétine et qu’on en finisse. On dirait que les chevaux ont stoppé, ou qu’ils ont fait un détour, comme s’ils ne l’avaient pas vu. Sublime torture.

   De toute façon, il ne bougera pas. Il crèvera là, rien de moins. Ce n’est pas héroïque, mais ça n’a pas d’importance. Il faut vivre ou mourir. Et vivre, c’est impossible seul.

 

   Abraham attend.

   On dirait que quelqu’un gueule. Oui, en gardant les yeux fermés, il lui semble que la première voiture s’est arrêtée sans bruit, et que le charretier qui arrive derrière jure à n’en plus finir, parce que c’est marché ce matin, et la marchandise, vous comprenez, faut qu’elle arrive, sinon…

   Un parfum… un parfum de femme, de violette. Le gosse ferme les yeux plus fort, et un sourire se dessine sur ses lèvres. Ça doit venir de la haute, un parfum délicat comme ça. Il y a une voix de femme, aussi, douce, très douce. Mais les autres voix la couvrent. Les mots, les phrases se mélangent, on n’y comprend rien, à la fin. C’est étourdissant, tant de bruit après des années de silence.

   On lui donne des coups, pour qu’il bouge. Il se laisse tabasser en souriant. On l’a donc remarqué, puisqu’on veut le dégager. Aïe, dans les reins ce n’est pas agréable. Mais on s’en fiche, non ?

   La voix douce proteste. Est-ce que la voix et le parfum vont ensemble ? Ce serait une belle dame aux cheveux blonds, comme il en a vue une, un jour, mais qu’elle, elle ne l’a pas vu.

   Un coup de pied dans la tempe…, ça bourdonne, ça papillonne. Le gamin tangue de droite à gauche, sonné. Et puis, la boule de haillons se disloque, et c’est un pauvre corps qui s’effondre dans la boue de la chaussée.

   Le parfum de violette se précipite et s’agenouille devant le miséreux. Regardez-le, il est tellement jeune, laissez-le. Arrêtez de lui faire du mal. On va le soulever, et le mettre sur le côté. Dame oui, c’est une bonne idée. On pourra faire passer la voiture et la charrette, ainsi.

   On le soulève, on le jette sur le trottoir. Le parfum de violette s’estompe. Le gamin respire encore, les brutes sont rassurées : elles n’ont tué personne.

   Les sabots des chevaux cognent sur le pavé, le bruit s’éloigne. Le gosse est couché sur le côté, on va le laisser là, il va se relever tout seul : ça se relève toujours, la vermine.

   Les passants l’enjambent sans le voir, on coupe court aux questions embarrassantes des enfants qui s’étonnent. Quand même, il n’est pas beau, ce gamin, avec son visage dur.

 

 


   Depuis combien de temps est-il là, ce ballot ? On lui a marché sur la main, on a buté contre son visage, on le piétine consciencieusement, mais il ne se réveille pas. La nuit tombe. On ne va pas le laisser ainsi : si quelqu’un venait à chuter à cause de lui ?

   On lui verse de l’eau glacée sur le visage, comme s’il n’était pas assez gelé. Il ne bouge pas. Un chien lui lèche le front. Son maître le tire en arrière : il ne faudrait pas que l’animal attrape des puces. On fait glisser le corps du gamin sur le côté, pour que les gens puissent passer.

 

   La nuit d’hiver l’enveloppe.

   Le froid engourdit le corps pour taire la douleur.

 

   Doucement, l’âme se détache de cet amas de souffrance.

 

   L’enfant est mort.

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